mercredi 15 janvier 2020

Faut-il toujours laver son tissu avant couture?

Question de point de vue


Je vais aller dans cet article un peu plus loin que ce que vous trouverez habituellement dans les livres ou sur la toile.

Tout d'abord pourquoi je me permet d'en parler : Cela fait presque 30 ans que je couds en amateur. Je fais également de la reconstitution depuis presque 20 ans. Dans ce cadre je me suis spécialisée dans le textile. Le TEXTILE depuis la fabrication du fil à la couture et l'entretien en passant par le filage et le tissage, je sais travailler TOUTES les étapes d'un tissu. Je n'irai pas dire que je suis experte loin de là. Mais quelqu'un d'expert ne voit qu'une facette quand moi j'en vois de nombreuses même si je sais que mes connaissances ne seront jamais complètes.

Nous allons parler ici de tissu naturel, je n'y connais RIEN en synthétique (soit dit en passant je ferais la même chose avec du synthétique si je devais en utiliser)

Deux points de vue : il faut et il ne faut pas. Les arguments basiques:

Il faut laver son tissu avant couture:

arguments pour :

_ Le tissu "rétrécit" au 1er lavage il faut donc le faire avant comme ça il ne rétrécira plus.
_ Le tissu est apprêté : il faut retirer l’apprêt pour avoir la vraie nature du tissu.
_ Le tissu est apprêté : il faut retirer les éléments chimiques nocifs avant de le porter.
_ On ne connais pas les conditions de stockage du tissu.
_ Les réalisations pourront être lavées simplement.
_ Cela permet de finir de dégorger et fixer certaines teintures.
_ Si on se prend la pluie il n'y aura pas de mauvaise surprise : le tissu aura déjà connu l'eau.

arguments contre :

_ Il faut pouvoir mettre le tissu dans sa machine.
_ ça fait des mètres et des mètres de tissu à repasser.
_ Cela retire l'apprêt (et en général change l'aspect du tissu).

Il ne faut pas laver son tissu avant couture:

arguments pour :

_ Cela garde l'apprêt et le rendu du tissu tel qu'on l'a acheté.
_ Pas besoin de repasser de grandes quantité de tissu, ou le tissu est plus facile à repasser. 
_ Un tissu apprêté est beaucoup plus simple à coudre.

arguments contre :

_ Il ne faudra jamais le laver à l'eau, un lavage à sec est obligatoire, et même ainsi il faut connaitre un bon pressing.
_ On ne connais pas les condition de stockage du tissu.
_ On ne connais pas l'apprêt utilisé.


Les deux points de vue se valent et tout dépendra donc essentiellement de ce qu'on veux faire de son tissu ensuite.

D'un point de vue plus particulier : 
Si vous souhaitez pouvoir laver votre réalisation ensuite : lavez votre tissu.
Si vous souhaitez profiter de la vraie nature de votre tissu : lavez le.
Si vous souhaitez garder l'aspect du tissu tel que vous l'avez acheté : ne le lavez pas, mais vous ne pourrez pas non plus le laver ensuite.

D'un point de vue plus particulier, celui du tissage.

Aujourd'hui lorsque vous achetez un tissu, soit il sort directement du métier à tisser soit il a reçu des traitement "en tension". Sinon c'est indiqué "tissu lavé".
Au bas moyen age il aurai été impensable de vendre un tissu sans le laver auparavant pour le finir et en retirer l'apprêt de tissage.

Professionnellement et traditionnellement, avant de tisser le fil est apprêté. soit le tisserand achète un fil pour tissage ( qui est déjà apprêté) soit il l'apprête lui même. Ceci permet de lisser le fil et de le rendre un peu plus résistant au dur labeur qu'il va avoir. Selon la fibre, la raison et l'apprêt seront différents mais globalement ils seront apprêtés. Artisanalement, cette étape est une étape supplémentaire qui n'est réalisée que si le fil le nécessite vraiment (pour les fils simples c'est obligatoire, pour les fils doublés ou plus c'est aléatoire). Il faut savoir que lorsqu'on achète un fil pour tisser de façon amateur il est rarement indiqué si il est apprêté ou non mais l'expérience permet de le dire rapidement.

 Lorsque l'on tisse, le fil est tendu, le tissu donc aussi, l'apprêt rend le fil rigide, il ne prend donc pas sa place exacte mais va donner quelque chose de raide et lisse. Ainsi c'est également plus simple de l'imprimer (avec des impressions compatibles qui ne partiront pas quand l'apprêt sera lavé).

Au premier lavage, les fils vont se détendre, s'assouplir et prendre leur place définitive. Leur vraie place. Avoir un tissus raide et lisse comme un tissu apprêté est possible, c'est un tissu de qualité qui vaux un certain prix, car ce sont des tissus très tassés (avec beaucoup de fils au cm par rapport à leur épaisseur). ceux ci ne perdront pas leur tenue au lavage. Souvenez vous de vos mères qui vous ont dit de prendre des draps avec le plus grand nombre de fils possible. Un tissu très tassé perdra peu en longueur également car ses fils n'auront pas la place de se détendre.
Lorsque l'on dit qu'un tissu rétrécit au lavage, c'est une erreur de langage. Le tissu ne rétrécit pas, il prend sa vrai place car il était trop tendu au départ. si vous avez un élastique détendu que vous lui donnez un coup de vapeur et qu'il reviens à sa longueur initiale vous ne dites pas qu'il rétrécit non?

Ainsi un tissu n'est fini que lorsque qu'il a subi son premier lavage qui va mettre en valeur son tissage.
Les plus flagrants sont les nid d'abeille et grain d'orge (pour l'armure du tissu) et les crêpes qui vont plisser dû à l'utilisation d'un fil crêpe (surtordu).

Aucune description de photo disponible.
Un tissu que j'ai tissé avec du lin surtordu (crêpe). au milieu il est lavé et oui c'était bien le rendu que je souhaitais

Nid d'abeille sorti du métier
Nid d'abeille Lavé

Grain d'orge à gauche lavé repassé, à droite sur le métier



Méfiez vous des noms des tissus :

Taffetas, toile, sergé, satin sont des noms d'armure de base du tissage et ne préjugent en RIEN de la matière et de l'aspect final du tissus.
Velours, bouilli, ciré, plissé, crêpe etc sont des noms de techniques qui ne préjugent en RIEN de l'armure et de la la matière du tissu.
Soie, laine, lin, coton etc sont des noms de matière et ne préjugent en RIEN de l'armure et de l'aspect final du tissu.


Le seul moyen de savoir exactement de quoi on parle est de caractériser la matière, l'armure, le nombre de fils au cm et je dirais même plus la caractérisation de ces fils (épaisseur, torsion et nombre de brins) et les étapes de finissage.

Mais cela est impossible et de tout temps pour résumer tout on leur à donné un nom. Lorsque ce nom devient populaire alors des copies en sont faites avec plus ou moins de bonheur. Et souvent sans être mensonger.

Ce qui m'a lancé l'envie de faire cet article est une discussion sur le taffetas de soie voici ce qu'en dit l'encyclopédie de Diderot et d'Alembert http://enccre.academie-sciences.fr/encyclopedie/article/v15-2725-0/ Le nom taffetas ne préjuge en aucune façon de la manière dont va se comporter le tissu au lavage. Aujourd'hui il faut lui rajouter  "de soie" alors qu'auparavant ce mot était utilisé uniquement pour la soie. mais il n'est non plus implicite dans ce nom si le tissu est fort tassé (et gardera sa tenue au lavage) ou peu tassé (et prendra son vrai aspect après l'apprêt retiré). le "doupion" est souvent un taffetas, le "crepe" est un taffetas, la "soie sauvage"  peu être un taffetas ou un satin, le pongé est un taffetas. Un vendeur peu donc vous vendre le taffetas qu'il veux.

"Le taffetas est un tissu satiné, au toucher sec, bruissant, possédant une bonne tenue. " dit l'un.
"Il se caractérise par sa bonne tenue et sa surface brillante typique. Le taffetas fabriqué dans du tissu à armure toile" dit l'autre
"c est tissu  fin et souple avec de la  tenue " dit un 3eme
"Classiquement réalisé en toile de soie, le taffetas est un tissu luxueux, d’aspect sec et craquant quand on le froisse. Le taffetas prend l’apparence d’un tissus épais, légèrement brillant et bruissant " dit un 4eme
" ce tissu extrêmement serré est fabriqué avec des fils très fins ce qui provoque une certaine rigidité" dit un dernier
Aucun ne ment, mais chacun décrit SON taffetas. fin et souple, épais et craquant, sont opposés.
Mais ce qu'on entend en général par "taffetas" c'est un tissu qui a de la tenue et craquant. Comme le dit le dernier cet aspect est normalement obtenu par un tissage extrêmement serré avec des fils fins. Mais si vous vous penchez uniquement sur le coté sec, craquant, avec de la tenue. Un bon apprêt suffira à donner ces caractéristiques à une vulgaire toile (J'avoue quand je dois coudre de la soie fuyante, je l'apprête à l'amidon, puis je la lave pour lui rendre sa fluidité).
Si vous avez bien suivi vous aurez compris que pour le premier un lavage ne changera pas ses caractéristiques tandis que pour le second cas on se retrouvera avec une vulgaire toile (que théoriquement on pourrait ré apprêter si on en avait les connaissances). Il vaut mieux le savoir avant de finir son costume.

Comment laver son tissu pour la première fois :

Ceci est ma façon de faire. J'ai développé ma technique au fil des années en apprenant à connaitre les tissus et le tissage. L'avantage c'est qu'elle est utilisable sur tous les tissus naturels.

Ceci est valable pour le premier lavage mais je le conseille également pour les suivants sur certaines matières.

1/Faire tremper son tissu au minimum une nuit dans une eau à température ambiante ou humaine (max 38°) sans le chiffonner, le déposer en accordéon autant que possible. Ceci va permettre de bien mouiller toutes les fibres à cœur et de faire gonfler celles qui le doivent. vous pouvez ajouter un peu de vinaigre si vous voyez de la teinture s'échapper pour essayer de la fixer. Bien vérifier que l'ensemble du tissu est imbibé de manière égale. La laine et le lin sont de sacré farceurs!
2/Mettre son tissu en machine sur le programme adapté SANS essorage
3/Optionnel : Si il y a vraiment trop d'eau, sortez le tissu de la machine, étendez le pour retirer les plis (à faire dans la baignoire, la douche ou dehors) puis remettez le en machine pour l'essorage le plus doux que la machine permette. pour une petite pièce vous pouvez la rouler dans une serviette de bain et marcher dessus afin que la serviette prenne le plus d'eau possible. Vues les quantités de tissu que je lave je ne le fais que pour mes tissages.
4/Étendez le, tirez bien sur les plis Le tissu va continuer à s’égoutter et sécher vous n'aurez quasiment pas besoin de repasser. Et vous n'aurez pas de plis disgracieux définitifs. 

Erreur à ne pas commettre:
utiliser de l'eau chaude 
utiliser du savon 
utiliser de la lessive
ne pas laisser tremper le tissu correctement
essorer le tissus sans l'avoir sorti auparavant

Un peu de détail:

Le coton : faire gonfler la fibre au départ va lui permettre de bien se mettre en place de ne pas prendre de faux plis dès le départ, cependant une nuit n'est pas nécessaire, on peux le presser dans l'eau et le laisser 1/2h en général cela suffit. Par contre pour des serviettes (ou torchons) la nuit leur permet d'être au mieux de leur capacité d’absorption. Cela reste souvent avec le coton qu'il faut la petite dose de vinaigre pour fixer la couleur. Vous pourrez ensuite le laver avec une lessive traditionnelle

La laine : elle est hydrophobe et déteste les chocs thermiques. Elle ne se gonfle pas bien d'eau ce qui fait qu'elle se lave très mal en machine : les cycles sont bien trop courts. Nuit dans l'eau indispensable et bien vérifier qu'elle s'est imbibée partout. Il m'est déjà arrivé de devoir prolonger ce temps car certains endroits n'étaient pas mouillés à cœur (ça se voit la couleur est plus claire).
Si vous avez besoin de "lessive"car elle est grasse, utilisez du shampoing bébé, et préférez mélanger le shampoing dans l'eau de trempage plutôt que dans la machine.
La laine a une certaine élasticité (rêvez pas ce n'est pas du lycra non plus), l'apprêt la lui retire, le premier lavage lui en redonne. Mais attention à ne pas la feutrer : pas de choc thermiques, pas de lessive dans la machine.

Le Lin : Fibre magique, au premier abord elle est hydrophobe, l'eau coule sur elle mais passe à travers les trous de l'armure. Puis elle pénètre dans la fibre et la fait gonfler. Une fois gonflée elle est déperlante. C'est une fibre qui se casse facilement et définitivement, faites lui un mauvais pli et il restera à vie. Si vous utilisez ma méthode, pas de soucis concernant les vilains plis, mais une fois sec le lin sera affreusement rêche et désagréable. Portez le il s'adoucira bien vite. Sinon lissez le c'est la technique traditionnelle : au lieu de repasser, vous le posez sur une surface dure et vous roulez un rouleau à pâtisserie en marbre dessus ou un galet ou vous frottez avec un poids en verre, bref lissez. Le fer ne lui rendra jamais justice.
Une technique plus moderne pour avoir un lin doux et éviter les faux plis est de lui casser toutes ses fibres : lavage en machine simple et sèche linge. Vous aurez un lin bien plus doux mais qui ne correspondra pas à ce que nos ancêtres portaient. Vous aurez un tissu pelucheux alors que le lin lissé est souple, doux et presque brillant. (mais c'est un peu de travail)

La soie : Vous ne saurez pas si elle est grège ou non, alors lavez la à froid et comme la laine si besoin de savonner : shampoing bébé. ce sont des fibres animales. essayez de vous laver les cheveux au savon de Marseille et vous comprendrez. Vapeur interdite (pour la même raison), repassez le moins chaud possible. tirez partie du séchage à l'air pour bien tendre et éviter les plis de façon à ce que le repassage ne soit que le lissage simple de la soie. Certains conseillent l'utilisation d'une pattemouille pour éviter les accidents.

Cas particulier : les tissus apprêtés type tissu Wax

Les tissus de type Wax ont un apprêt qui n'est pas fait pour simplifier le tissage mais qui fait partie du type de tissu lui même.
En lavant son Wax à moins de 40°, en ne repassant pas trop chaud, en suivant mes recommandations, la wax (qui n'est que de la cire) ne partira pas tout de suite. mais elle finira par partir.
Pour retrouver la brillance de la wax, il suffira alors de la recirer. (la démarche est trouvable sur la toile)

Cas particulier : Reapprêter un tissu

Dans le cas du besoin d'un tissu qui ai de la tenue, on oublie trop souvent l’indispensable de nos grands mères : l'amidon. Et on oublie également que l'amidon n'a pas besoin d'être acheté : eau de cuisson du riz, des pâtes, des patates, colle de farine, farine de riz, maïzena sont autant de possibilités d'amidonner. Voilà de quoi donner de la tenue à un tissu qui n'en a pas, en redonner à celui qui en a perdu, sachant que ça part à l'eau et que ça se dose. 
Gomme laque, gomme arabique et gélatine sont aussi des apprêts utilisables bien que je n'en aie jamais fait l'expérience.

Conclusion

Laver ou ne pas laver son tissu est avant tout un choix personnel
Le mien est tout choisi : Laver ! Parce que je vis dans mes costumes, parce que même si je ne lave pas mes costumes ensuite selon les cas, je ne suis pas à l'abri d'une drache (forte pluie) , parce que je veux tirer parti de la vraie nature de mes tissus, et parce que je ne connais pas de bon pressing.

Mais vous pourriez choisir de ne pas le faire : car vous voulez garder l'aspect du tissu apprêté, car vous restez en intérieur, car vous le portez occasionnellement, car vous avez un bon pressing, car traiter 15m de tissu c'est quand même bien galère.


3 commentaires:

  1. Bonjour.
    Article intéressant.
    Je commence tout juste a prendre des cours de couture.
    Notre prof nous conseil de ne pas laver le tissus avant :
    - pour conserver l'âppret pour coudre
    - car c'est compliqué de lavé le tissu quand on a trop de mettre...
    Et de le laver après réalisation, le laisser tremper une nuit avec du vinaigre. Dans certains cas elle nous oblige a étendre le tissu pour qu'il prenne sa forme.
    Je n'ai pas encore eu l'occasion de l'expérimenter...

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  2. Bonjour et merci pour cet article ! Adepte du costume historique, il n'y a que les costumes XVIIIe que je ne lave pas, parce que c'est lourd, imposant, et que je ne veux pas que les fronces, broderies ou décorations diverses ne bougent. Je fais comme à l'époque pour ceux-là, je change beaucoup de linge et les nettoie à sec ou les brosse ! Pour les autres, j'avoue que je ne lave jamais mon tissu avant et que j'adore laver le costume ensuite. C'est peut-être bizarre, mais ainsi le costume est facile à coudre, et il a plusieurs vies et plusieurs aspects. Il y a l'aspect tout neuf du costume que l'on porte pour la première fois (toujours avec des chemises, comme avant, donc le problème de l’apprêt ne se pose pas), et l'aspect du costume ensuite qui a vécu, qui a été porté, et j'aime vraiment le voir évoluer et changer d'aspect, se patiner avec le temps. Chaque utilisation me permet également de le rôder, de modifier l'aspect ou les systèmes de fermeture !

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  3. Bonjour,
    Tout ça est très compliqué... Pourriez-vous me dire ce que je dois faire : j'ai acheté au marché un drap anthracite que le marchand m'a dit être de laine. Je veux m'en faire une cape. Il est beau et brillant mais bien sûr sa propreté ne peut être vraiment garantie. Puis-je, dois-je le faire tremper à l'eau froide, ou bien est-ce franchement déconseillé ? Merci si vous pouvez me conseiller.

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